Et si, timidement, l’Arabie Saoudite s’éveillait ?

Posted on mars 14, 2011

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Petite  « journée de colère », vendredi 11 mars en Arabie Saoudite.  Planifiée depuis des semaines, elle n’a pas donné lieu aux grands rassemblements attendus, mis à part ceux des forces de sécurité qui ont bouclé, en masse, les centre-villes.
Des défilés ont néanmoins parcouru les rues de la province orientale, riche en pétrole, où la minorité chiite saoudienne (10% de la population du royaume) est concentrée. Elle a déjà été le théâtre de manifestations, la semaine dernière, réclamant la libération de « dignitaires » ou de personnalités locales accusées de « sédition ». Au moins une personne a été blessée par balles à Al-Qetif.

Des appels à manifester ont été relancés pour mardi 15 mars.

Deux raisons semblent avoir refroidi les ardeurs des plus volontaires des inscrits sur les pages des réseaux sociaux. La première :  la crainte de la répression après les avertissements du ministère de l’Intérieur et une fatwa des hautes autorités religieuses interdisant les manifestations et les pétitions.  Toute la semaine, les téléphones portables des Saoudiens ont été bombardés de SMS d’intimidation, la télévision criant même au complot iranien.
Deuxième facteur, le noyautage des appels Facebook et des différents forums de discussion par des cohortes de provocateurs et/ou islamistes radicaux.  Ce qui était un appel à la création d’une société civile avec une liste de revendications comprenant l’instauration d’une monarchie constitutionnelle, des  libertés publiques et le respect des droits de l’homme s’est finalement mué en une litanie de discours haineux.

Signe, cela dit, de l’inquiétude des autorités, le roi Abdallah a annoncé il y a deux semaines un plan de relance et de mesures sociales estimé à 36 milliards de dollars (26 milliards d’euros) ainsi que l’embauche des employés  précaires par le biais de « contrats d’Etat ».  Car, paradoxe ou signe d’un pays bloqué et d’une économie sclérosée,  le niveau général du chômage s’établit à 10,5 %, selon les chiffres officiels. Dans la tranche des jeunes de 20 à 30 ans, il est toutefois de 30%. Et ce alors même où le royaume croule sous les pétrodollars.  Trop occupée à distribuer sa rente à sa foultitude de princes, d’obligés, de réseaux d’allégeance et à acheter la paix sociale, l’Arabie Saoudite est incapable de créer les bases d’une croissance et d’une économie durable hors hydrocarbures. Et à absorber le nombre de jeune diplômés qui arrivent chaque année sur le marché du travail.

Dimanche, entre 500 et 800 personnes ont  néanmoins bravé les interdictions de manifester pour protester contre la détention de membres de leurs famille, parfois depuis des années, devant le ministère de l’Intérieur à Riyad (photo). En vain. Elles ont décidé de revenir toutes les semaines. Scène insolite, les employés de Saudi Telecom, en grève, occupaient également  les trottoirs ce jour-là.

Plus habitué à une contestation violente menée quasi exclusivement ces dernières années par les enfants perdus de l’islamisme radical et les cellules d’Al-Qaeda d’un côté, ou celle de frondes émanant du clergé de l’autre. L’antre du wahabisme rigoriste est touché par une brise printanière libérale, prolongement du vent de révolte qui souffle ailleurs dans le monde arabe.

Même s’ils ne semblent pas encore prêts à descendre en masse dans la rue, des Saoudiens se livrent depuis quelques temps à un nouveau sport national : la pétition. Il en circule des dizaines sur les réseaux sociaux, malgré la censure, réclamant essentiellement une ouverture politique, une représentation nationale élue au suffrage universel, et la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire : une monarchie constitutionnelle en lieu et place de l’absolutisme de droit divin des Saouds.

« Même si les pétitions sont dans une zone grise au regard de la loi saoudienne. Il reste très risqué d’en lancer ou d’en signer, estime la bloggeuse Emen An-Najfan. Nombre de militants ont été emprisonnés dans le passé pour l’avoir fait. » Et d’ajouter : « C’est sans précédent dans l’histoire de l’Arabie qu’autant de gens signent de leur nom pour exiger ce qui a toujours semblé impossible. Des milliers de personnes ont signé ces pétitions, des gens de tous les milieux. »

Réformes politiques, élections, liberté de la presse et même…. droit des femmes. Même timidement, des Saoudiens osent employer des termes encore  inimaginables il y a quelques années dans le royaume. Les principaux comptes Facebook appelant à ces réformes totalisent aujourd’hui plus de 40 000 membres. Reste à le traduire dans les faits : « En Egypte et en Libye, les gens font la révolution dans les rues, par sur les réseaux sociaux. Sinon, c’est comme demander à une bonne de vous ramener un verre d’ eaux ; se  plaindre du verre, se plaindre de  l’eau, et de ne rien faire … sauf se plaindre », tempère Qusay, un autre bloggeur saoudien.

Des micromouvements remontent quand même à la surface :  rapporté par la journaliste  Ebtihal Mubarak, un rassemblement d’élèves aux accents très tunisois et cairotes dans la cour d’un lycée de filles à Riyah : « Al Shaab yourid isqat al moudir » – « Le peuple veut la chute du principal ! »

Document:
Voici la pétition la plus importante à ce jour,
lancée le 27 février et signée par un millier d’intellectuels, enseignants, étudiants, professions libérales…  Elle demande en 11 points un changement de la nature du régime.

Une lettre des intellectuels saoudiens à leur direction politique
Appel à une réforme nationale

« Ce n’est un secret pour personne que les Tunisiens et la révolution égyptienne ont attisé les tensions  politiques dans de nombreux pays arabes voisins – et notre propre pays est au cœur de ces turbulences. Cela nous impose le devoir d’examiner notre situation, et de faire tous les efforts en matière de réformes avant une escalade dangereuse et que  nous nous trouvions face évolution imprévisible et d’événements qui ne pourraient pas être arrêtés.

En Janvier 2003, un groupe d’intellectuels saoudiens présenté au Serviteur des Deux Saintes Mosquées [le roi, ndlr] une liste de propositions précises dans un document intitulé «Une vision pour le présent et l’avenir. Le roi a promis de se pencher sur les points qui lui ont été soumis . Un certain nombre de hauts officiels ont promis que le gouvernement est déterminé à adopter (à une date ultérieure) des politiques de réforme généralisée à tous les secteurs de gouvernance, et à revoir ses relations avec la société saoudienne.

Dix ans après ces promesses, les réformes promises n’ont pas eu lieu […] nous croyons que les problèmes mentionnés dans le document « Vision » et les lettres qui ont suivi se sont aggravés en raison de réformes politiques retardées. La situation actuelle est pleine de motifs de préoccupation. Et nous et les Saoudiens sont en général assistons au recul du rôle puissant que notre pays joue dans la région, les échecs de plus en plus de notre organisme gouvernemental, la détérioration d’une gestion efficace, la prévalence de la corruption et le népotisme, l’exacerbation des dissensions et les l’écart grandissant entre l’Etat et la société, en particulier les nouvelles générations de jeunes. Ceci nous mène à la peur de conséquences catastrophiques pour le pays et le peuple. C’est sans doute ce que nous voulons éviter à notre pays et à nos enfants. Comment le gouvernement s’est penché sur la situation exige un examen sérieux. Le gouvernement doit immédiatement annoncer l’adoption d’un programme de réforme à grande échelle […]. Il doit se concentrer sur la résolution des défauts fondamentaux de notre système politique, et mener le pays vers l’établissement d’une monarchie constitutionnelle. Le consentement du peuple est le fondement de la légitimité de l’autorité. Le consentement est la seule garantie pour l’unité, la stabilité et l’efficacité de l’administration publique, et la sauvegarde du pays de toute ‘intervention étrangère. Cela nécessite une reformulation de la relation entre la société et l’État, de sorte que les gens puissent être une source d’autorité, et un partenaire à part entière dans l’élaboration des politiques à travers leurs représentants élus dans le Conseil de la Shura. Le but de l’Etat est de servir la communauté et de préserver les intérêts de son peuple par l’amélioration du niveau de vie, assurer la dignité des citoyens et l’avenir de leurs enfants. C’est pourquoi nous nous attendons à une annonce royale qui démontre clairement l’engagement de l’État pour devenir une «monarchie constitutionnelle», et un calendrier qui détermine la date de début des réformes souhaitées et la date d’achèvement. L’annonce doit également confirmer que les objectifs de la réforme sont majeurs, à savoir: la primauté du droit, l’égalité absolue entre les personnes, la garantie légale des libertés individuelles et les droits civils, la participation populaire au processus décisionnel, au développement équilibré, l’éradication de la pauvreté, et une utilisation optimale des ressources publiques. À cet égard, nous appelons pour un programme de réforme visant à intégrer les éléments suivants :

Premièrement: Une Constitution qui fonctionnera comme un contrat entre le peuple et l’Etat, avec la reconnaissance que le peuple est la source de l’autorité. La séparation des trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire, chacun ne régissent que son domaine spécifique. Lier l’autorité à la responsabilité et la reddition de comptes. Assurer l’égalité de tous les citoyens, et la protection juridique des libertés individuelles et les droits civils et garantir la justice et l’égalité des chances. L’accent mis sur la responsabilité de l’État pour garantir les droits de l’homme, et garantir le droit d’expression pacifique d’une opinion, et le renforcement des libertés publiques, y compris le droit de former des associations politiques et professionnelles.

Deuxièmement: l’accent sur le principe de la primauté du droit, de l’unité, et que personne – fonctionnaires de l’Etat et grand public, ne soit au-dessus du droit, d’égalité et sans discrimination. L’interdiction de la dépense des ressources de l’État à des fins illégales ou personnels.

Troisièmement: L’adoption du suffrage universel comme une méthode directe pour la formation des conseils municipaux, conseils de district et le Conseil de la Shura, et la participation des femmes dans les processus de nomination et d’élection.

Quatrièmement: La mise en œuvre du principe de la décentralisation administrative et l’autonomisation des administrations locales dans les régions et provinces et de tous les pouvoirs nécessaires pour la mise en place d’une gouvernance locale efficace et interactive, en mesure de répondre directement aux demandes des citoyens dans chaque région.

Cinquièmement : L’indépendance du pouvoir judiciaire, l’abolition de tous les organismes qui jouent un rôle parallèle en dehors du cadre du système judiciaire. Les tribunaux doivent exercer un contrôle sur l’enquête, la poursuite des accusés et les conditions des prisonniers. L’abolition des règlements qui limitent l’indépendance et l’efficacité du système judiciaire, limiter l’immunité des juges […] . L’accélération de la codification et la normalisation des lois et décisions judiciaires, tout en tenant compte des Conventions internationales relatives aux droits de l’homme que notre gouvernement s’est engagé à signer. Tout cela assure la justice, l’égalité et la discipline dans l’application des lois […].

Sixièmemement : Les associations civiles doivent être  légalisées […]. Il faut ouvrir la porte à la création d’institutions de la société civile sous toutes ses formes et à des fins de rationalisation et d’incarnation de  l’opinion publique, d’activation de la participation du public au processus décisionnel.

Septièmement: En dépit de l’élargissement du débat sur les droits de la femme saoudienne, le gouvernement n’a pas pris de mesures suffisantes pour satisfaire aux exigences de ce dossier. La négligence des droits des femmes […] contribue à l’approfondissement du problème de la pauvreté et de la violence, et affaiblit la contribution de la famille à l’élévation du  niveau de l’éducation. Des actions juridiques institutionnelles doivent être prises pour permettre aux femmes d’exercer leurs droits dans l’apprentissage, l’emploi et la participation aux affaires publiques, sans discrimination.

Huitièmement: Il faut interdire par la loi la discrimination envers les citoyens […] et sanctionner l’exercice de toute discrimination sectaire, tribale, régionale ou raciale. Ainsi que la haine pour des raisons religieuses . Il faut développer une stratégie nationale d’intégration qui reconnaît explicitement et respecte le multiculturalisme dans la société saoudienne, et le considère comme une source d’enrichissement pour l’unité nationale et la paix sociale. Nous avons besoin d’une stratégie efficace pour remédier à la situation minorités nationales qui ont été exposées à l’exclusion, la marginalisation la limitation de leurs droits en raison de l’une des raisons ci-dessus, et de les dédommager pour ce qu’ils ont subi dans le passé.

Neuvièmement : La décision prise par le Serviteur des Deux Saintes Mosquées à approuver la formation d’un organe des droits humains, l’Assemblée nationale pour les droits de l’homme, a été accueillie avec optimisme. Mais nous constatons aujourd’hui que la Commission des droits de l’homme et l’Assemblée se sont transformées en factions bureaucratiques contrôlées par le gouvernement. Ils n’ont montré qu’un rôle limité dans la défense des droits des citoyens. Parmi les raisons de leur déclin, l’ingérence du gouvernement dans la nomination de leurs membres, ainsi que le refus de nombreux organismes gouvernementaux de les reconnaître. La première priorité pour tout gouvernement et pour la société doit être le maintien et la protection des droits et la dignité des citoyens et des résidents. Nous appelons donc à la suppression des restrictions imposées par le gouvernement sur la Commission et l’Assemblée, et l’assurance de leur indépendance en vertu de la loi. Nous demandons également une législation pour le droit de former d’autres associations pour la défense civile de droits de l’homme.

Dixièmement : Aucune dignité sans une vie décente. Dieu a béni notre pays avec beaucoup de richesses, mais une grande partie de nos citoyens se plaignent de la pauvreté et le manque de ressources. Nous avons noté le retard du gouvernement à traiter le problème du chômage, le manque de logements et le faible niveau de vie, en particulier dans les zones rurales, les banlieues et pour les retraités et les personnes âgées. Nous ne voyons aucune justification à ne pas développer des solutions à ces problèmes. Nous croyons que ne pas soumettre ces questions au débat public, et  négliger le secteur privé et le rôle des sociétés civiles est une grave erreur. […] Ces problèmes sont devenus l’une des principales raisons de l’humiliation et la dégradation des  des conditions de vie des citoyens.

Onzièmement : ces dernières années ont révélé l’aggravation croissante de la mauvaise gestion des deniers publics. Cela nécessite la mise en place du Conseil de la Shura élu à même d’utiliser ses pouvoirs de contrôle et de responsabiliser tous les organismes gouvernementaux. Ce qui doit être accompli par l’établissement de structures indépendantes et des organes administratifs qui soient en mesure de remplir les fonctions de réglementation, et la déclaration de leurs résultats à la population, notamment dans les cas liés à la corruption administrative, l’abus de pouvoir et de détournement des fonds publics par des organismes gouvernementaux. Nous devons dans ce domaine adopter le principe de transparence des comptes, et d’établir un cadre institutionnel pour garantir ces principes avec :

a) La création d’une commission de surveillance qui aurait l’avantage de l’intégrité, de l’indépendance  et de l’immunité, et dont les enquêtes et les résultats seraient ouverts au public.

b) Permettre aux citoyens de surveiller l’utilisation des fonds publics par des organismes gouvernementaux et par la suppression des restrictions qui empêchent la presse d’accéder à des informations sur les transactions soupçonnées d’être impliquées dans la corruption.

Douzièmement : les revenus du pétrole ont bondi à des niveaux élevés au cours des cinq dernières années, et par conséquent beaucoup d’argent a été mis à la disposition du gouvernement. Les citoyens devraient bénéficier de cette augmentation des fonds, et ses dépenses doivent être rationalisées, plutôt que d’être gaspillées dans des projets coûteux de peu d’utilité. Nous demandons le réexamen des plans de développement actuels et l’établissement de stratégies à long terme pour le développement global du pays. L’accent doit être mis sur l’expansion de la production nationale, jetant les bases d’autres sources économiques, la fourniture d’emplois et l’augmentation de la participation du secteur privé dans la politique économique.

En conclusion, nous appelons les dirigeants politiques à adopter le programme de réforme proposé. Afin de regagner la confiance du peuple en son gouvernement[…], quatre initiatives doivent être prises immédiatement:

1 – Une annonce royale qui confirme l’intention du gouvernement d’entreprendre un programme de réformes politiques avec un calendrier .

2 – La libération immédiate des prisonniers politiques. Ceux qui ont commis des crimes doivent être jugé sans retard, avec les garanties judiciaires nécessaires.

3 – L’annulation de l’interdiction de voyage imposée à un grand nombre de faiseurs d’opinion.

4 – Levée des restrictions sur la liberté de la presse et d’expression, et la possibilité pour les citoyens d’exprimer leurs opinions ouvertement et pacifiquement. Et l’arrêt des persécutions subies par ceux qui expriment leurs opinions de manière pacifique.

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